Le film Oppenheimer vient de gagner plusieurs Oscars. Comment le Japon a représenté cette guerre, et ses conséquences, dans les mangas? J’en ai sélectionné cinq qui permettent d’explorer différentes facettes de ce drame pour les Japonais.
Gen d’Hiroshima, Intégrale de NAKAZAWA Keiji chez Vertige Graphic (5 tomes)
Cette série est sans compromis. La lire, c’est recevoir de plein fouet la cruauté humaine, l’injustice, le désespoir. Bien sûr, il y a des moments de lumière au milieu de cette tragédie. Le personnage de Gen est particulièrement attachant, avec ses comportements d’enfant, ses incompréhensions d’enjeux complexes qui opposent les adultes autour de lui, et par sa bonté aussi.
Le mangaka Nakazawa, décédé en 2012, s’est inspiré de son expérience personnelle. En japonais, la série s’appelle « Gen aux pieds nus » et l’auteur prend le temps de nous présenter sa vie familiale avant que la bombe ne tombe sur la ville, puis toutes les conséquences de ce drame. J’ai été particulièrement marquée par sa fuite vers les villages autour de Hiroshima où on est loin de comprendre ce qui vient de se passer dans la grande ville.
Une lecture marquante, un peu comme la visite du Musée d’Hiroshima pour la Paix.
Short Stories 2 – Le temps des cerisiers de HOJO Tsukasa chez Panini (1 seul tome)
Cet ouvrage, réunissant cinq brèves de Tsukasa Hōjō, présente trois brèves histoires, profondément bouleversantes, qui traitent de la 2e guerre mondiale. « American Dream » se déroule aux États-Unis, juste avant le début de la guerre; « Aux confins du ciel » est basé au Japon à la toute fin de la guerre, quand le pays allait perdre la bataille; et « La mélodie de Jenny » à peu près au même moment, dans les yeux d’un Américain en fuite.
Ces trois histoires montrent avec doigté à quel point les victimes de la guerre sont dans tous les camps, que personne n’y gagne quoi que ce soit, qu’on ne fait que semer la tristesse. La préface de Pierre-William Fregonese indique que ces histoires critiques de la guerre (publiées en 1995) n’ont pas plu au Weekly Shônen Jump, et expliqueraient pourquoi Hōjō a cessé de publier dans le magazine. Cette réédition grand format met bien de l’avant les dessins magnifiques de Hōjō (Cat’s Eye, City Hunter).
Pour faire comprendre à quel point la guerre n’a pas de sens, à quel point elle brise l’humain, pour transmettre aussi l’ouverture à l’autre, c’est un ouvrage magnifique. Et d’autant plus pertinent à notre époque…
Les Amants sacrifiés de KAKIZAKI Masasumi, scénario de KUROSAWA Kiyoshi, HAMAGUCHI Ryusuke et NOHARA Tadashi chez Ki-oon (2 tomes)
Un véritable thriller, où on tente de démêler la vérité à propos de ce Japonais proche de la culture occidentale et qui en sait beaucoup trop sur l’armée japonaise. C’est une adaptation réussie du film de Kiyoshi Kurosawa « Spy no Tsuma », sorti en 2020 et gagnant du Lion d’argent à la Mostra de Venise.
C’est une courte série très puissante. La fin du tome 1 est cruelle pour le lecteur: je recommande fortement d’avoir les deux tomes en main lorsqu’on débute, car l’histoire est remplie de retournements de situation.
Le dessin est rempli de traits appuyés, le noir est profond, les contrastes servent à accentuer cet effet d’ombre et de drame. C’est magnifiquement dessiné, très prenant. Tous les faits historiques qui ponctuent l’histoire sont des photographies réelles entourées de bandes noires où on raconte la progression de la 2e guerre mondiale. Ce manga traite des zones d’ombre de la guerre et on finit la lecture en ouvrant un moteur de recherche pour aller vérifier si ce qu’on vient de découvrir est vrai… ce qui est le cas, malheureusement.
Le pays des cerisiers de KOUNO Fumiyo chez Kana (1 seul tome)
À travers deux courtes histoires (la plus longue donne le titre à cet ouvrage), la mangaka explore le destin d’une famille, à partir de 1955 jusqu’au début 2000.
C’est la première histoire « La ville de Yûnagi » que j’ai trouvé la plus touchante parce qu’elle est remarquablement narrée. Ces quelques pages permettent de comprendre que la cruauté de cette bombe atomique ne s’est pas arrêtée en 1945. « Le pays des cerisiers », raconté en deux parties, va plus loin dans le temps, ce qui permet de comprendre le jugement et la crainte qui continuent de peser sur les descendants.
La douceur des dessins permet de transmettre les efforts et petites victoires de ces habitants d’Hiroshima qui cherchent des moments de bonheur. Cela donne plus d’impact aux émotions contradictoires des personnages et permet de réfléchir aux conséquences de leurs terribles souvenirs.
À noter que la mangaka Kouno a poursuivi sa plongée dans les récits de guerre avec Dans un recoin de ce monde, chez le même éditeur.
Une sacrée mamie, édition double de SHIMADA Yoshichi (scénario) et ISHIKAWA Saburō chez Delcourt/Tonkam (5 tomes)
Une oeuvre qui réussit à insérer le rire au milieu des drames, ce qui met encore plus de l’avant l’absurdité des conflits qui laisse de nombreuses conséquences. Une sacrée mamie se déroule quelques années après la fin de la 2e guerre mondiale, au moment où la pauvreté est très répandue dans la population. C’est l’histoire de gens ordinaires qui font de la mieux pour survivre.
Le jeune Akihiro doit aller vivre avec sa grand-mère à la campagne, car sa mère n’est plus capable de faire vivre ses deux enfants. Malgré les injustices, les difficultés, les épreuves qu’ils affronteront au cours de ces années avec sa grand-mère, le jeune Akihiro ne se décourage pas, grâce au regard de sa mamie. « Nous sommes des pros de la pauvreté! Aie confiance en toi! »
Une sacrée mamie, c’est un récit sur les suites d’une longue guerre, mais qui se concentre sur l’humanité. On y montre le plus beau de ce que nous pouvons être, avec la sagesse de cette mamie, modèle de solidarité, de débrouillardise et d’empathie.
Mise à jour: 28 mai 2024