Je suis autrice et lectrice. Mais je ne me suis jamais considérée traductrice. Pour plusieurs raisons: d’abord je trouve insuffisante ma maîtrise de mes langues secondes. Ensuite, les quelques notions j’ai eu sur le sujet lorsque j’étudiais en rédaction, m’ont appris à quel point traduire, bien traduire, est un métier difficile.
Pourtant, je m’y suis commise avec Nous sommes tous différents et nous sommes tous beaux. En lisant l’article scientifique d’Isabelle Bilodeau, professeure à l’Aichi Shukutoku University, qui analyse les commentaires des traducteurs dans les livres (beaucoup plus fréquents dans les ouvrages en japonais qu’en anglais ou en français), j’ai réalisé que je faisais de tels commentaires, mais dans les salons du livre ou en discussion avec une personne intéressée par l’ouvrage. J’ai eu envie de partager mes réflexions autrement, d’où ce billet!
Les fleurs de feu
Commençons par les mots intraduisibles. En japonais, le feu d’artifice s’appelle « fleur de feu ». C’est joli, n’est-ce pas? Misuzu aussi semblait trouver le terme très poétique car elle en a fait un poème où elle joue sur le fait que la « de feu » sont « fleurs venant de pays invisibles pour les yeux ».
Comment l’enfant francophone pourra-t-il comprendre le lien entre ce pays invisible et les « d’artifice » qui ne sont pas des « de feu » en français? J’ai donc fait un compromis, profitant des répétitions du poème en japonais. Si dans la première ligne, j’ai choisi « d’artifice », dans la deuxième (où le mot revenait), j’ai plutôt opté pour « de feu » pour qu’on puisse les « » dessinées dans le ciel.
Le bruit d’un flocon qui se pose
Dans Le chant de grand-maman, on croise une onomatopée japonaise, c’est-à-dire la répétition d’un son pour transmettre un état. Par exemple, le très populaire Pikachu tire son nom de l’onomatopée pika-pika qui indique les étincelles du feu. Le japonais est rempli de tels usages, c’est très commun.
Misuzu parle donc de la neige à la toute fin du poème et elle utilise deux fois sara-sara. Cette onomatopée désigne le bruit que font les feuilles de bambous (comme dans la chanson traditionnelle de Tanabata pour ceux qui la connaissent!), mais aussi le son que font les flocons en se posant.
Ok… Nous n’avons pas de mots pour parler du bruit des flocons. Je comprends pourtant fort bien ce qu’elle veut dire. J’ai toujours adoré me coucher dans la neige et regarder le ciel déverser le blanc sur moi. Alors, moi aussi, j’ai déjà entendu ce son léger et étouffé d’un flocon qui se dépose sur une accumulation de neige. Mais en français, il n’y a pas de mot.
Il a donc fallu que je décrive ce son: « au son d’un flocon qui se pose », c’est le mieux que j’ai trouvé pour ne pas passer outre le sara-sara japonais.
Les poèmes en japonais
Une chose m’a rassurée quand j’ai débuté ce projet: mon éditrice a proposé d’inclure la version japonaise des poèmes (en caractères japonais ET romanisés) juste à côté de la traduction française. Ça m’a apaisée car je sais que ceux et celles qui maîtrisent cette langue pourront observer/refaire/critiquer les choix de ma traduction.
Car traduire, c’est nécessairement faire des choix. On ne peut arriver au même résultat que l’original, peu importe les efforts. C’est crève-cœur quand on aime les versions originales. Mais, à moins que le génie d’Aladdin m’accorde le vœu de parler la totalité des langues de la terre, je ne pourrai jamais apprécier les créations littéraires originales de toute l’humanité. Alors la traduction est le palliatif.
J’avais choisi 13 poèmes, en collaboration avec l’illustratrice, Rieko Koresawa. Un équilibre entre les poèmes les plus connus de Misuzu Kaneko (L’oisillon, la clochette et moi; Es-tu seulement l’écho?; Tout aimer), ceux qui évoquent une réalité partagée avec le Québec (La neige qui s’accumule; Les étoiles et les pissenlits) et les autres qui inspiraient des images fortes à Rieko (L’enterrement de la baleine; Les abeilles et les dieux).
Le public-cible
Pour guider mes choix de traduction (registre de langue, répétitions), j’ai gardé en tête que Misuzu Kaneko est reconnue au Japon comme une poétesse pour enfants. De la même manière, ce sont aux enfants que je voulais que ces poèmes s’adressent. Je voulais qu’ils voient les images que Misuzu fait naître dans l’imagination, aussi clairement que les enfants japonais.
Ça a bien sûr teinté le texte. Dans le poème La grue, on utilise le terme tanchô no tsuru pour désigner l’oiseau, un terme qui se traduit d’au moins cinq façons en français, à cause des différentes régions d’Asie où on croise cette grue. Je n’allais certainement pas choisir le terme scientifique (grus japonensis), alors j’ai opté pour « à couronne rouge » que j’ai modifié un peu pour « couronnée de rouge ».
Le plus difficile des poèmes fut Le chant de grand-maman. Dans une seule ligne, Misuzu utilise Otsuru, Senmatsu, Chûjô-hime. Ce sont trois titres d’histoires chantées traditionnelles… que les enfants francophones ne connaissent pas. Que faire? Comment transmettre la peine dans la voix de la grand-mère qui chante ces histoires tristes? Choisir des contes bien connus en français pour que les enfants comprennent les images: La petite fille aux allumettes, Tom Pouce, Cendrillon? Mais les équivalents sont nécessairement très loin des trois histoires choisis par Misuzu.
Alors j’ai plutôt choisi de faire de chacun des titres une ligne de quelques mots qui « ésume » l’histoire. Otsuru est devenu « de la fillette qui cherche sa mère en vain », Senmatsu « serviteur du petit samouraï qui meurt » et Chôjô-hime « la princesse fidèle et mal aimée ».
Voilà. Je n’ai pas parlé des répétitions; du haori que j’ai laissé tel quel en japonais parce que, dans le contexte, on comprend assez bien que c’est un vêtement; du mot kami que j’ai traduit par « » au pluriel, bien heureuse que les kamis soient si nombreux au Japon et me permette d’inclure tous les dieux des lecteurs.
Mais je dirai une dernière chose: j’espère que la traduction de ces poèmes transmet l’émerveillement et la richesse des émotions que sait si bien faire vivre Misuzu Kaneko. Et je pense que les commentaires des traducteurs à propos de leur travail est certainement lié en partie à leur désir d’expliquer leurs choix. C’est très intéressant finalement!