Japon : Quand « abolition » rime avec « erreur de compréhension »

On a beaucoup parlé de cet avis du ministère de l’Éducation japonais (MEXT) qui ordonnait à ses 86 universités nationales d’abolir les facultés d’humanités afin de se consacrer à des choses plus « utiles » pour la société. L’avis est réel et il compte dix pages où l’on trouve une phrase incitant à « démanteler et restructurer les facultés de sciences humaines et sociales en particulier ». C’était dit et ça a fait le tour du monde. J’en parlais à Radio-Canada le 23 septembre.

Il semblerait toutefois que tout cela n’ait été qu’une « erreur de compréhension ». On ne parle maintenant plus d’une abolition, mais plutôt qu’il y aura « réorganisation ». Des réformes devront être appliquées dans l’enseignement supérieur dû à l’effondrement du nombre d’étudiants (conséquence directe du vieillissement de la population).

Est-ce une façon de se sortir d’une situation délicate, qui avait pris de larges proportions hors du Japon? Cette controverse est-elle un moyen de sauver la face par rapport à une décision qu’on avait peut-être bel et bien prise, mais qu’on réalise être une erreur? Laissons le bénéfice du doute au conseiller du ministre qui explique « l’erreur » dans cette missive (en anglais).

Pour terminer, voici quelques statistiques sur les universités au Japon, qui donne l’ampleur de ce domaine:

Il y a 672 universités privées au Japon, et 86 universités nationales (plus réputées et plus difficiles d’accès), pour un total de 758 universités.

À titre comparatif, il y a 48 cégeps et 18 universités au Québec, ce qui fait 60 établissements d’éducation post-secondaire (il existe dans les universités japonaises un cycle court de deux ans).

C’est beaucoup, mais en proportion du nombre d’habitants (127 millions au Japon), c’est quand même moins d’établissements post-secondaires par habitant qu’au Québec (1 établissement par 125 000 personnes au Québec, contre 1 établissement par 167 000 personnes au Japon).

Encore plus fascinant de constater que les proportions d’étudiants en sciences humaines par rapport aux sciences pures se ressemblent au Japon et au Québec.

Japon
Étudiants des humanités (bunkei 文系): 55,3 %
Étudiants des sciences pures (rikei 理系): 28,2 %
Autres (éducation, arts, éducation physique, etc.): 16,4 %

Québec en 2010
Étudiants des humanités: 52 %
Rikei: 27,4 %
Autres: 20 %

Ce que j’en retiens: peu importe la raison de cette « erreur » de compréhension, il semble maintenant que le ministère sera plus vigilant sur ses directives par rapport aux humanités. Et c’est une bonne chose.

Réactions venues du Japon
Humanities under attack – Takamitsu Sawa
Japanese University Humanities and Social Sciences Programs Under Attack – Jeff Kingston

6 réflexions au sujet de “Japon : Quand « abolition » rime avec « erreur de compréhension »”

  1. Très intéressant! J'ai bien aimé que tu soulignes le lien entre le fait que les japonais sont en train de ré-ouvrir les centrales nucléaires, transformer leur force d'auto-défense en armée et, quel "hasard" au niveau du timing, tenter de fermer (ou restructurer sauvagement) leurs programmes de sciences humaines. J'aimerais en savoir plus. J'imagine que tu va suivre le dossier, si oui, donnes-nous des mises à jour! 🙂

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  2. Tout à fait, je continuerai de suivre cela avec attention.

    En lisant le journal ce matin, je réalise que ce n'est pas si loin de ce qui se passe au Canada:

    "Et ce n’est pas tout, ajoute M. Turk. En plus de restreindre son financement, le gouvernement a convenu que cet argent serait alloué principalement aux « recherches dites rentables », qui répondent « aux priorités politiques du gouvernement ». Il en a résulté un « déclin de la recherche générale et fondamentale » au profit de « recherches plus ciblées visant l’innovation » et « effectuées en partenariat » avec l’entreprise."

    http://www.ledevoir.com/societe/science-et-technologie/452087/science-un-chercheur-denonce-les-dommages-du-gouvernement-harper

    Déplorable.

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  3. Oui, j'ai entendu dire qu'il était de plus en plus difficile de faire de la recherche fondamentale au Canada. Je ne suis plus certain, mais je crois que c'est Philippe-Aubert Côté qui me disait cela… Déplorable est le bon mot.

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  4. Ce qui a surpris lors de la première annonce, c'est donc davantage l'honnêteté du mot "abolition". On n'est pas habitué à ça, un avis sans langue de bois. 😉

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